Courrier Picard – Victimes et condamnées à se taire
- Le 07/05/2019
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Suite à une plainte d’un prêtre, la justice allemande a interdit à la chaine ARTE de rediffuser le reportage ‘Religieuses abusées, l’autre scandale de l’église’ qui aurait dû être visible en replay sur arte.tv jusqu’au 3 mai 2019 au lieu du 5 avril.
Dans son numéro du 6 mai 2019, le Courrier picard évoque cette interdiction et interroge Michèle-France, une des nombreuses victimes du co-fondateur de l’Arche, le prêtre Thomas PHILIPPE.
Effet Streisand ?
Bien qu’il ne soit pas identifiable, un prêtre allemand s’est reconnu dans les propos d’une des victimes allemandes, Doris. Son avocat a saisi le tribunal d’Hambourg et obtenu en référé, l’interdiction de diffusion du reportage par ARTE.
Si ce prêtre s’est senti visé, rien ne permet aux trois millions de spectateurs qui ont vu le reportage en direct, ou en replay jusqu’au 5 avril, de mettre un nom et un visage sur la personne ciblée par Doris. La requête faite au tribunal risque bien au contraire, de provoquer « l’effet Streisand » en braquant les projecteurs et les caméras dans sa direction.
Cette affaire a au moins la vertu de refocaliser le public sur les dérives de l’église et de l’Arche, et donc d’informer encore plus de monde.
Fanny Dollé du Courrier picard, a recueilli les propos de Michèle-France
Comment avez-vous réagi à cette décision de justice d’annuler le replay du documentaire ?
Ce n’est pas très grave, le film a été vu par des millions de personnes, en France comme à l’étranger. Les gens ne pourront plus dire que les abus sexuels au sein de l’Église n’existent pas. En février dernier, le pape François a d’ailleurs reconnu que des religieuses avaient servi d’esclaves sexuelles au clergé.
Quelles ont été les réactions suite à la diffusion du documentaire ?
Ma voisine, d’ordinaire discrète, est venue frapper à la porte, les larmes aux yeux. J’ai eu beaucoup de messages me félicitant pour mon courage d’avoir parlé. Le vicaire général du diocèse de l’Oise est venu me rendre visite. De nouvelles victimes se sont déclarées, comme ce prêtre américain, qui avait également subi des attouchements de la part du père Thomas.
Michèle-France, quand les journalistes d’Arte sont venus à votre rencontre, saviez-vous que vous n’étiez pas la seule religieuse à avoir été abusée au sein de l’Église ?
Je pensais que j’avais eu affaire à deux cas particuliers. Jamais je n’aurais imaginé qu’en Afrique, on était allé jusqu’à des avortements commandés. C’est un problème si vaste… C’est ce qui m’a poussé à collaborer.
Selon vous, l’Église a-t-elle fermé les yeux sur ce qui vous arrivait ?
J’ai été victime de deux prêtres, frères biologiques, pendant vingt-cinq ans, forcée de rejoindre le lit de l’un et de l’autre : le père Marie-Dominique Philippe, futur fondateur de la communauté des frères de Saint-Jean, a été mon accompagnateur spirituel, puis le père Thomas Philippe, co-fondateur de l’Arche à Trosly-Breuil.
Sur ce dernier cas, il y a sans doute eu une imprudence commise de la part de sa communauté, les Dominicains. Il avait déjà été démis de ses fonctions par la justice du Vatican pour agressions sexuelles dans les années 50. Il avait été interdit d’exercer tout ministère sacerdotal et en particulier d’accompagnement spirituel. Après dix ans de mise à l’écart, il est revenu et il a récidivé. Dans la pièce où il recevait les gens à Trosly-Breuil, il y avait un lit. Ce n’est pas normal, ils auraient dû être plus vigilants.
Les deux prêtres étant aujourd’hui décédés, aucune poursuite civile ou pénale ne peut être engagée. Qu’attendez-vous aujourd’hui ?
J’attends juste qu’on reconnaisse la vérité des faits. Au début de l’affaire, on m’a prise pour une hystérique, une menteuse. En 2015, l’enquête canonique a confirmé que le père Thomas avait eu des agissements sexuels sur des femmes majeures, des « grâces mystiques » selon lui. C’était un premier pas. Une messe de réparation a également eu lieu, à ma demande, en avril 2017. Et surtout ce documentaire, qui fut une vraie libération pour moi.
Suite à la diffusion du documentaire, Mgr Jacques Benoît Gonnin, évêque du diocèse de l’Oise, a proposé une réflexion sur la notion d’obéissance. Selon lui, l’obéissance du Christ à la volonté de son Père n’a jamais été une négation et un abandon de son discernement et de sa conscience. Qu’en pensez-vous ?
Il a raison. Il faut revoir cela. Quand j’ai rencontré le père Marie-Dominique Philippe, j’avais 26 ans, j’étais fragile, en pleine dépression. J’avais pris l’habit quatre ans auparavant. Toutes les sœurs le considéraient comme un saint homme. Quand il m’a tendu la main en tant qu’accompagnateur spirituel, c’était un grand honneur. C’était le représentant de Dieu sur terre, il me disait « Je veux sentir l’amour de Jésus pour toi. » Il avait fait vœu de chasteté, je ne me méfiais pas. Il me disait avoir un grand respect pour ma virginité. Il n’y a eu que des rapports oraux.
Que faut-il faire pour que cela n’arrive plus ?
Il faudrait revoir le rôle des prêtres, revaloriser le rôle des diacres permanents, dont certains sont mariés et surtout de la femme au sein de l’Église. Qu’on arrête de la considérer comme une misérable créature pécheresse.
Michèle-France, comment allez-vous aujourd’hui ?
Je suis suivie par une psychologue depuis bientôt cinq ans. Il y a des abuseurs dans tous les milieux mais quand il s’agit d’un prêtre, cela attaque l’âme. C’est encore plus destructeur. Je suis à la retraite aujourd’hui. Je vis toujours à Trosly-Breuil, où j’ai de très proches amis.
Vous croyez toujours en Dieu ?
Je ne suis plus religieuse depuis 1978. Mais j’ai retrouvé la foi. Un miracle selon le père qui m’accompagne dans ma vie spirituelle. Par contre, mon chemin vers l’Église reste vacillant.
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