Le forfait jours illégal ou 'Les assistants abusés, l’autre scandale de l’Arche'

  • Le 01/04/2019
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Forfait joursVivre en permanence sur votre lieu de travail, logé dans une chambre du foyer des personnes handicapées dont vous avez la responsabilité, jour comme nuit ; avoir dans votre contrat de travail une clause qui vous impose « … de vivre de façon continue et permanente sur place » ; ne pas être autorisé à recevoir la moindre visite ; devoir indiquer à votre référent la naissance d’une idylle amoureuse avec un(e) autre assistant(e) du foyer ; travailler plus de 10h / jour, 6 jours / semaine, avec un seul week-end par mois ne vous rebutent pas ?

Alors vous êtes prêt pour le forfait jours à l’Arche… en toute illégalité !

Avoir des salariés disponibles jour et nuit, l’Arche l’a fait !

Vous pensiez qu’en France la durée hebdomadaire du travail était de 35 heures ? Et bien non, pas à l’Arche. Dans son contrat de travail, l’assistant salarié dans un foyer de vie et d’accueil « bénéficient » non pas des classiques 35 heures, mais d’un « forfait jours » avec les conditions de travail suivantes :

- logement sur leur lieu de travail (chambre dans le foyer)
- horaires minimum : 8h à 14h, et 17h à 21h, soit 10h / jour
- 6 jours travaillés par semaine, soit 60h / semaine (repos le vendredi)
- un week-end par mois, soit 24 jours travaillés / mois

Si un salarié ordinaire aux 35 heures réalise 152 heures par mois, à l’Arche, cet employé aura déjà travaillé 180 heures au terme des 3 premières semaines, et jusqu’à la fin du mois, comme il a  droit à un seul week-end mensuel de 2 jours accolé à son jour de repos hebdomadaire, il fera 60 heures, totalisant ainsi 240 heures dans le mois.

L’Arche semble occulter que sa responsabilité civile et pénale est susceptible d’être engagée en cas d’accident lié directement ou indirectement aux durées assurément excessives des temps de travail. « Pétage de plombs » avec repli trois jours dans la chambre, crise de larmes ou arrêts de travail pour épuisement professionnel, sont divers évènements constatés de-ci de-là qui ne semblent pas interroger les responsables des assistants.

Le salaire mensuel brut d’un assistant et de l’ordre de 1550 €, soit très légèrement au-dessus du SMIC de 1521.25 € en 2019. Par contre, ramené à l’heure, le salaire à l’Arche est de 6.46 €/h, contre 10.03 €/h pour le SMIC.

Si le volume d’heures travaillées explose, c’est le contraire pour les jours de repos, comme l’indique les articles 7 et 8 du contrat. Si le salarié bénéficie bien de 35 jours calendaires de congés comme tout salarié aux 35 heures, il en va pas de même pour la durée du travail annuel fixée forfaitairement à 251 jours, et aux jours de repos fixés à 79 par an.

Un bref calcul montre le décalage avec un salarié aux 35 heures qui travaille 47 semaines par an (52 de l’année moins les 5 de congés payés). A raison de 5 jours par semaine, il travaille donc 235 jours / an soit déjà 16 jours de moins qu’à l’Arche. Mais en fait, l’écart est plus important car Monsieur 35 heures bénéficie également des jours fériés que Monsieur Forfait Jours n’aura pas, forfait annuel oblige. Il perd donc au minimum une vingtaine de jours de repos.

Le contrat de travail d’un assistant salarié à l’Arche dans l’Oise

Avec la clause « L’association accueille ces personnes avec un handicap dans des lieux de vie de petite taille, à caractère familial, ce qui implique pour les assistants salariés en foyer de vivre de façon continue et permanente sur place », c’est clair, vous devez continuellement vivre sur votre lieu de travail, logé dans une chambre sans sanitaires privés sauf quelques rares exceptions, dans le foyer des personnes handicapées dont vous avez la responsabilité, jour comme nuit. En pratique, il y a un temps de repos de 14h à 17h.

Bien que cela ne figure pas dans le contrat de travail, vous n’êtes pas autorisé à recevoir de famille, d’amis ou votre boy/girlfriend. Comment peut-on envisager de fonder une famille en étant reclus sur son lieu de travail, l’interaction avec le monde extérieur étant très limité d’autant plus que la plupart des foyers sont isolés ? Dans l’Oise, seuls les foyers des communautés de Beauvais et Compiègne sont proches du centre-ville.

A savoir que vous être tenu d’indiquer à votre référent la naissance d’une idylle amoureuse avec un(e) autre assistant(e) du foyer afin qu’on vous sépare géographiquement. Si le port de la ceinture de chasteté n’est pas de rigueur, ce n’est pas demain qu’on trouvera des distributeurs de préservatifs sur les sites de l’Arche.

L’inspection du travail de la DIRECCTE de la région Auvergne-Rhône Alpes s’est d’ailleurs offusquée des clauses abusives des règlements intérieurs comme celle qui présume que les « assistants vivant en foyer » ne peuvent sortir sans autorisation de l’enceinte de l’Arche, y compris pendant leur temps de pause, ou encore, celle qui interdit à ces mêmes assistants, alors même qu’ils sont tenus de dormir sur place en permanence, de recevoir qui que ce soit sans autorisation.

Bien justement, l’inspecteur du travail n’admet pas ces restrictions graves aux libertés individuelles disproportionnées par rapport à l’activité à réaliser.

Obligation de loger sur son lieu de travail et d’y manger… mais ce n’est pas gratuit !

On vous oblige à habiter sur votre lieu de travail selon un mode quelque peu monacal, et non gratuitement qui plus est. Dans l’article 5 « Lieu de vie et de travail » qui porte si bien son nom, il est signifié que vous avez un loyer :

« M/Mme X exercera ses fonctions dans un des foyers de l’Arche où il/elle disposera d’une chambre réservée à son usage exclusif. Cette chambre constituera son domicile moyennant une participation financière aux dépenses d’hébergement. »

Etonnant que le logement de fonction imposé – une simple chambre souvent contigüe à celle des personnes handicapées – soit considérée comme avantage en nature et facturée, tout comme est surprenant la déduction du salaire des repas alors que les assistants sont tenus de les prendre avec les personnes hébergées, au regard de la charge de travail mais également de l’absence de tout lieu adéquat mis à leur disposition.

L’illégalité du forfait jours

Pour justifier le forfait jours, l’Arche argue dans le préambule du contrat que « Ce mode de vie et de travail relève des dispositions initialement prévues par l’article L.774-3 du code du travail et intégrées par l’ordonnance 2007-329 du 12/03/2007 relative au code du travail, dans le code de l’action sociale et des familles sous l’article L.433-1 concernant les permanents des lieux de vie. ».

Tout semble bordé mais pourtant ce forfait jour est illégal ! L’Arche impose ce forfait jours aux assistants salariés ou non, en s’appuyant sur l’article L.433-1 du Code d’Action Sociale et des Familles.

Or, en 2007, le législateur souhaitait protéger le salarié de tous abus, avec des modalités de suivi de l’organisation du travail des salariés concernés, nécessaire à la garantie du droit à la santé et au repos par une amplitude et une charge de travail raisonnables assurant une bonne répartition dans le temps du travail du salarié.

Comme aucun garde-fou n’a été mis en œuvre, aucun décret d’application n’est paru. Le forfait jours est donc illégal depuis l’origine.

La Cour de Cassation a d’ailleurs statué le 10 octobre 2018 par l’arrêt n° 1446 (17-10.248), qu’en absence de son décret d’application, le forfait jours pour les permanents responsables et les assistants permanents exerçant au sein des lieux de vie et d’accueil n’est pas applicable.

Cette décision de la Cour de Cassation a été prise sur le fondement de l’article 1er du Code Civil mais également au visa de l’article 11 du Préambule de la Constitution, de la Charte Sociale Européenne ainsi que de la Charte communautaire des droits sociaux et fondamentaux des travailleurs.

Autrement dit, l’absence du décret précisant les modalités de suivi de l’organisation du travail ne constitue pas un simple incident technique, mais une question de fond posée par le texte même de l’article L.433-1, dont ce dernier s'exposerait certainement aux foudres des plus hautes juridictions – Cour de Justice de l’Union Européenne et Conseil Constitutionnel – en violant les droits fondamentaux des travailleurs et particulièrement celui du droit au repos, à la santé et au respect de la vie privée.

Une réglementation européenne applicable aussi aux non-salariés, donc les volontaires en service civique !

Il est à noter que la protection accordée par la règlementation de l’Union Européenne (Cour de justice de l’UE du 21/2/18 – Affaire C-518/15) ne se limite pas qu'aux salariés, mais s’applique plus généralement aux travailleurs, ce qui inclue ainsi les volontaires et les bénévoles.

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Commentaires

  • dolle
    • 1. dolle Le 24/06/2019
    Bonjour,
    Votre article m'a beaucoup interpellé, vous avez très bien résumé le quotidien des assistants. J'ai beau faire des recherches je ne trouve aucune personne qui se plaint des conditions de travail de l'arche, et pourtant les conditions de travail sont inadmissibles,je voudrais monter un dossier auprès de la DDASS et d'autres financeurs pour vraiment faire bouger les choses ,mais je ne sais vraiment pas par ou commencer car je trouve que des articles qui disent et repetent que l'arche est genial!!!!!.
    pouvez vous m'aider.
    Merci

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